lundi 1 novembre 2010

Jour 1270

La fin d'un mythe

Alternatives économiques, le 24 septembre 2010 :

"L'histoire de la pensée économique est riche en contestataires de la croissance infinie. Mais, jusqu'à présent, leurs idées ont été refoulées. Le capitalisme a su, en y mettant d'énormes moyens, utiliser la croissance comme grand argument de vente et de preuve de sa supériorité. Il est parvenu à ancrer dans les esprits l'idée d'une relation étroite entre croissance et progression universelle du bien-être. Ses acteurs dominants savent que la foi en la croissance est la première condition de l'attachement au système.

Pourtant, certains grands économistes qui n'avaient rien d'anticapitalistes se sont exprimés sur les limites de la croissance. C'est le cas de Keynes, dans les Perspectives économiques pour nos petits-enfants (1930). Un texte superbe, rejoignant certains élans de Marx. Anticipant en effet que les petits-enfants de sa génération seraient environ huit fois plus riches qu'à son époque, Keynes estimait que, avec cette abondance matérielle, « il sera temps pour l'humanité d'apprendre comment consacrer son énergie à des buts autres qu'économiques »… « L'amour de l'argent comme objet de possession, qu'il faut distinguer de l'amour de l'argent comme moyen de se procurer les plaisirs et les réalités de la vie, sera reconnu pour ce qu'il est : un état morbide plutôt répugnant, l'une de ces inclinations à demi criminelles et à demi pathologiques dont on confie le soin en frissonnant aux spécialistes des maladies mentales.»"

dimanche 31 octobre 2010

Jours 1268 & 1269

Plus d'obéissance pour encore plus de répression

Ligue des Droits de l'Homme, le 29 octobre 2010 :

"L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), ainsi que la Ligue des droits de l’Homme (LDH) appellent à la tenue d’un procès juste et équitable en appel contre M. André Barthélemy, président d’Agir ensemble pour les droits de l’Homme, qui se tiendra le 29 octobre à 13 heures devant la 7e chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Paris.

M. André Barthélemy avait été condamné le 19 mars 2009 à 1 500 euros d’amende pour « incitation à la rébellion » et « entrave à la circulation d’un aéronef » par le Tribunal de Bobigny. Il avait fait appel de la décision.

Ces accusations avaient été portées après que M. Barthélemy eut pris position et tenté de s’interposer, le 16 avril 2008, à bord d’un avion en partance pour Brazzaville, en faveur de deux ressortissants congolais qui se plaignaient d’être maltraités alors qu’ils étaient sur le point d’être renvoyés vers la République du Congo.

D’autres passagers ayant également protesté contre ces traitements, les deux ressortissants congolais, M. Barthélemy et trois autres passagers avaient alors été débarqués. Le président d’Agir ensemble avait ensuite été menotté et placé en garde à vue pendant environ dix heures, au cours desquelles il avait été interrogé par la police aux frontières.

L’Observatoire et la LDH considèrent que les poursuites intentées à l’encontre de M. André Barthélemy ne semblent viser qu’à sanctionner ses activités de défense des droits de l’Homme.

L’Observatoire et la LDH appellent par conséquent à la relaxe de M. André Barthélemy, conformément aux normes internationales en matière de protection des droits de l’Homme, et notamment à la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme de 1998.

L’Observatoire annonce qu’il enverra un observateur au procès, dans le cadre d’une mission d’observation judiciaire."

vendredi 29 octobre 2010

Jour 1267

Une inflation qui coûte cher

Le Monde, 29 octobre 2010 :

"Un plaisantin, amusé par le lapsus de l'ex-garde des sceaux sur Canal + fin septembre, qui avait parlé de "fellation" au lieu d'"inflation", s'est retrouvé 48 heures en garde à vue la semaine dernière – appartement perquisitionné, ordinateur saisi – pour avoir envoyé à Rachida Dati au Parlement européen un courriel lui proposant une petite "inflation"."

En revanche traiter les gens de pauvres cons est autorisé pour les grands de ce monde. Voilà une bien belle république...

jeudi 28 octobre 2010

Jour 1266

Justice au rabais

Syndicat de la Magistrature, 28 octobre 2010 :

"Madame le garde des Sceaux,

Invitée hier matin sur France Inter, vous avez expliqué à votre manière, inimitable, le dépaysement de l’affaire Woerth-Bettencourt.

L’aplomb avec lequel vous leur avez livré ce conte pour enfants sages aura peut-être convaincu certains de nos concitoyens que, décidément, c’est la raison qui l’emporte et l’indépendance de la justice qui triomphe. Nous les invitons pourtant à dévider, avec vous, la pelote de fil blanc dont cette histoire est cousue.

Pour planter le décor, on retiendra d’abord de vos fortes paroles que « cette affaire n’est pas politique » et que « [vous] ne [voulez] pas qu’elle le soit ».

Nous voici donc sommés de comprendre que n’est pas politique une affaire dans laquelle un procureur de la République – qui ne dément pas ses liens avec le président de la République – enquête sur un financement illégal du parti de ce président ainsi que sur des trafics d’influence susceptibles de concerner un ministre et ce, alors même que des enregistrements ont révélé des liens directs entre ce même procureur et le conseiller justice de ce même président…

Que vous soyez désireuse d’ôter toute coloration politique à cette affaire ne surprendra personne ; avouez cependant qu’il fallait quand même oser aller aussi loin dans le déni !

Expliquant ensuite pourquoi le tribunal correctionnel de Nanterre, pourtant naturellement compétent, devait être désormais dessaisi de la procédure d’abus de faiblesse – qui fait l’objet d’un supplément d’information instruit par sa présidente – vous avez indiqué que « des soupçons se sont portés sur une juge », désignant à deux reprises cette présidente comme la cause de tous les maux affectant la juridiction nanterrienne.

Et sur le procureur qui s’est acharné à faire obstacle à ce supplément d’information, sur ce procureur qui mène seul, contre l’avis de tous et dans le secret, toutes les enquêtes dont cette procédure pour abus de faiblesse est la source, sur ce procureur qui explore les factures téléphoniques de sa collègue dans des conditions invraisemblables, ouvrant contre elle une enquête qui alimente opportunément les fameux « soupçons » dont on se saisit pour la… dessaisir : à l’égard de ce procureur, donc, aucun soupçon ? Allons, cherchez bien…

Expliquant encore pourquoi il avait fallu attendre si longtemps pour que des informations judiciaires soient ouvertes, vous avez déclaré que « ça n’était demandé par personne », que « ce sont les parties qui sont le plus directement intéressées » et que « si ça n’était pas demandé, c’est parce qu’il y avait des enquêtes qui étaient en cours et qui permettaient d’aller plus vite ».

Mélangeant allègrement les cadres juridiques respectifs des enquêtes préliminaires et de la procédure pour abus de faiblesse, vous voulez donc nous faire croire que le procureur de la République de Nanterre, maître de l’action publique et premier informé de tous les éléments justifiant l’ouverture d’une information judiciaire – information que toute la communauté judiciaire réclamait, procureur général près la Cour de cassation en tête – que ce procureur, donc, attendait servilement qu’une partie lui en fasse la demande ?

Glissons sur le fait que, si vous avez tenu à vous féliciter à plusieurs reprises de ce que « les enquêtes progressaient », les reproches adressés aux investigations du procureur de Nanterre n’ont jamais concerné leur lenteur mais bien le fait qu’elles se déroulaient dans l’opacité la plus totale et sans aucun autre contrôle que celui qu’exerçait le parquet général pour votre compte.

A propos de contrôle... Poursuivant votre démonstration du parfait fonctionnement de la justice jusqu’aux fâcheux « soupçons » venus disqualifier la présidente du tribunal correctionnel de Nanterre, vous vous êtes lancée dans une comparaison des garanties respectivement offertes par un procureur de la République et par un juge d’instruction, dont tout le sens visait à justifier la suppression du second au profit du premier. Vos auditeurs apprirent ainsi que « le juge d’instruction ne travaille pas sous le contrôle d’autres magistrats » et que « c’est l’un des problèmes avec l’Union européenne qui reproche qu’il n’y ait pas procès équitable lorsqu’une personne mène l’enquête et est juge de l’enquête ».

Sur le premier point, nos collègues des chambres de l’instruction, auxquelles faisait explicitement référence le journaliste qui vous interrogeait, seront heureux (ou pas...) d’apprendre que vous venez de les décharger de l’examen en appel des actes des juges d’instruction de leur ressort et du contrôle de leurs cabinets.

Sur le second point, votre propos est juridiquement aberrant à au moins deux titres, ce qui est doublement ennuyeux pour un ministre de la justice et mérite que l’on s’y attarde un peu.

Il est d’abord faux d’affirmer que le juge d’instruction est « juge de l’enquête ». Le juge de la légalité des actes de l’instruction, qu’il s’agisse des actes accomplis sur commission rogatoire ou de ceux réalisés par le juge d’instruction lui-même, est la chambre de l’instruction, seule compétente pour les annuler – le cas échéant à la demande du juge d’instruction, c’est dire ! – aux termes de l’article 170 du Code de procédure pénale. Le seul acte qui n’entre pas dans le champ de compétence de la chambre de l’instruction est l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, qui peut cependant être annulée par ce tribunal. Quant au fond, le juge d’instruction n’est évidemment pas juge de sa propre enquête puisqu’il est possible de faire appel de ses décisions et que le tribunal correctionnel peut ordonner un supplément d’information.

Il est ensuite faux d’affirmer que l’institution du juge d’instruction pose problème au regard du droit européen. La Cour européenne des droits de l’Homme – si c’est bien à elle que vous pensiez – a même affirmé le contraire dans le fameux arrêt Medvedyev c. France rendu par sa Grande chambre le 29 mars 2010 : « Les juges d’instruction (...) sont assurément susceptibles d’être qualifiés de “juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires” au sens de l’article 5§3 de la Convention » (paragraphe 128).

Vous le savez d’ailleurs parfaitement puisque le gouvernement français, représenté par vos services, a soutenu à Strasbourg que « si la Cour a jugé qu’un procureur ou un autre magistrat ayant la qualité de partie poursuivante ne pouvait être considéré comme un “juge” au sens de l’article 5§3, une telle hypothèse ne correspond aucunement au juge d’instruction », en prenant soin de rappeler que « la Cour a déjà jugé que le juge d’instruction remplit les conditions posées par l’article 5§3 (A.C c. France (déc.), n° 37547/97, 14 décembre 1999) » (paragraphe 114).

Enfin, vous occultez l’essentiel, à savoir la question de l’indépendance, qui est précisément celle du contrôle. Selon vous, qui du procureur de la République ou du juge d’instruction est sous le contrôle du pouvoir exécutif, que ce soit dans le régime actuel ou dans celui que vous prétendez instaurer à l’avenir ? Vous devez bien avoir une idée...

Vous le voyez, Madame le ministre, il eût sans doute mieux valu raconter la véritable histoire de ce dépaysement :

* expliquer qu’il devenait impératif de dessaisir Isabelle Prévost-Desprez, non pas à cause de l’inimitié qui l’opposerait à Philippe Courroye et dont la mise en scène ne sert qu’à masquer les enjeux réels de ce dossier, en particulier l’impérieuse nécessité de garantir l’indépendance du ministère public, mais bien parce que ses investigations alarmaient de plus en plus le pouvoir exécutif ;

* expliquer que ce dépaysement devait emporter celui des autres enquêtes et donc (enfin !) la désignation de juges d’instruction, à défaut de quoi l’inégalité de traitement entre les différents volets de l’affaire eût été inexplicable et la ficelle trop visible ;

* expliquer que ce dépaysement général est finalement un moindre mal pour ceux qui ont si longtemps résisté à l’ouverture d’informations judiciaires, compte tenu du temps déjà gagné et de celui qui le sera encore, en attendant que les juridictions désignées, après avoir tout repris « à zéro » et fait face à la guérilla procédurale que le parquet ne manquera pas de continuer à mener, finissent un jour par être en mesure de statuer, idéalement après le printemps 2012...

Terminant en apothéose et bouclant la boucle, vous avez souhaité « que l’on s’abstienne désormais de continuer à vouloir faire de l’ingérence politique dans ces dossiers »."

mercredi 27 octobre 2010

Jour 1265

Un poing sur les retraites

Frédéric Lordon, brillant, comme à son habitude, sur son blog la Pompe à Phynance, le 23 octobre 2010 (allez lire l'article dans son intégralité) :

"Le capital, dont Marx rappelait qu’il était incapable de résister à l’appel de « ses intérêts les plus bornés et les plus malpropres », s’est donné avec Sarkozy le fondé de pouvoir le plus visible, le plus caricatural et le plus détestable – quand le choix de nos amènes socialistes étaient d’une bien meilleure rationalité stratégique de long terme : ceux-là n’ont-ils pas fait avancer la cause du capital dans une parfaite tranquillité au seul prix d’avoir à trémoler régulièrement « justice sociale » et « égalité » entre deux trains de déréglementation (et ne s’offrent-ils pas d’ailleurs à reprendre du service sur le même mode exactement) ? Mais voilà où mène l’hubris des possédants : à tout vouloir ils risquent aussi de tout perdre. La volonté de puissance déboutonnée par trois décennies leur a donné à croire qu’ils n’avaient plus à admettre de borne à leur désir d’accaparement et que Sarkozy était bien l’homme de cette situation-là. Mais la retraite est peut-être leur « pont trop loin », où se mêlent tout à la fois le refus d’une réforme inique, le rejet d’un pouvoir politique insupportable, mais aussi le dégoût absolu du spectacle de la finance, la contestation frontale sinon du capitalisme lui-même du moins de sa forme présente, et pour finir la défense d’une certaine forme de vie. On pouvait difficilement faire plus magistrale erreur de tir. Tragique erreur dans le choix des mots, dont Gérard Mordillat qui signe la préface d’une réédition du Capital [16]) donne a contrario l’exacte formule : « La France n’a pas besoin de réformes, elle a besoin d’une révolution »."

mardi 26 octobre 2010

Jour 1264

Ces retraités qu'on oublie

L'Observatoire International des Prisons, le 22 septembre 2010 :

"Exclus du bénéfice de la protection du droit du travail et partant de la garantie du revenu minimum [les détenus] gagnent – en théorie – 44% du Smic horaire. Or, l'obtention d'un trimestre suppose d'atteindre une somme au moins égale à 200 fois le Smic horaire, soit 1772 euros en 2010. Vu les rémunérations des détenus, valider un trimestre par an en prison est déjà un tour de force. Valider deux trimestres relève de l'exception. A preuve, sur dix années d'incarcération, B. a acquis seulement... 13 trimestres. [...] « Que voulez-vous que je fasse avec ça, c'est moins qu'un loyer ?! J'ai travaillé quasiment sans interruption, sauf la première année où j'étais en observation. Je ne m'attendais pas à avoir aussi peu », a-t-elle confié à l'OIP. Alors que la réforme des retraites sera adoptée dans les prochaines semaines, les détenus ont, comme souvent, été écartés des débats. Pas de régimes spéciaux ou d'aménagements spécifiques les concernant. Les occurrences « prison », « détenus », « sortants de prison » « travail carcéral » n'apparaissent jamais dans le projet de loi, voté le 15 septembre dernier par l'Assemblée Nationale. En tête de la contestation de l'allongement de la durée de cotisation, les syndicats sont à la peine lorsqu'on les sollicite sur les travailleurs-détenus: « Je connais mal le sujet, il faudrait faire un travail de conviction en interne et se saisir un jour de cette question », admet Gérard Rodriguez, conseiller confédéral CGT en charge des retraites. A la CFDT, on ne trouve « personne pour répondre à ce sujet »."

lundi 25 octobre 2010

Jour 1263

Ils aiment leurs petites fiches

Ligue des Droits de l'Homme, le 22 octobre 2010:

"Alors que la Commission européenne a annoncé le 19 octobre qu’elle renonçait à ouvrir une procédure d’infraction contre la France pour absence de transposition de certaines garanties minimales de procédure imposées par la Directive sur la libre circulation, le Conseil d’État a donné dès le lendemain carte blanche au gouvernement pour poursuivre son fichage et sa traque des étrangers, ressortissants communautaires ou non.

L’ensemble des moyens soulevés par le Gisti, Iris et la LDH a été rejeté. Tout en reconnaissant la base légale incertaine du dispositif de l’aide au retour - fixé par une circulaire de 2006 non publiée selon les termes de la réglementation en vigueur et donc réputée abrogée à la date de publication du décret contesté -, la décision dépasse résolument ces incertitudes. Sur l’ensemble des moyens, les conclusions du Conseil d’État ne s’éloignent guère du mémoire en défense du gouvernement, y compris pour apprécier la pertinence et l’adéquation aux finalités du traitement des données enregistrées et de leur durée de conservation. À titre d’exemple, la durée de conservation de 5 ans n’est nullement considérée comme arbitraire, alors même qu’elle est de loin supérieure au délai de prescription de l’action publique en matière contraventionnelle (1 an) voire délictuelle (3 ans). Rappelons qu’il s’agit uniquement d’éviter qu’un « pécule » de 300 euros soit indûment accordé plus d’une fois ! De même, la collecte de 10 empreintes digitales est à rapporter aux 2 seules empreintes exigées par la réglementation européenne en matière de passeports biométriques, dont les enjeux sont tout de même plus sérieux !"