vendredi 25 février 2011

Jour 1386

La fin, doucement...

Syndicat de la Magistrature, le 15 février 2011 :

"Depuis hier soir, une présentation approximative voire erronée des positions arrêtées par la coordination nationale des organisations représentant les professionnels de la justice semble s’être largement imposée dans le débat public.

Il convient d’abord de rappeler que la mobilisation sans précédent qui secoue depuis près de deux semaines le monde judiciaire est à la fois interprofessionnelle et spontanée. Deux dimensions essentielles que la propagande du pouvoir – savamment orchestrée par l’Elysée au moyen de pseudo-argumentaires truffés de contre-vérités – tente et, hélas, parvient parfois à masquer.

La vérité de cette mobilisation, c’est qu’elle s’est amorcée au TGI et au SPIP de Nantes avant de gagner la quasi-totalité des juridictions et des services qui se sont auto-organisés, avec le soutien actif des organisations syndicales. La vérité de cette mobilisation, c’est qu’elle ne concerne pas que les magistrats – comme on l’a beaucoup lu ou entendu et comme cela arrangerait certainement le pouvoir exécutif –, mais bel et bien tous les acteurs de la justice, solidaires et impliqués : fonctionnaires des services judiciaires et de l’administration pénitentiaire, éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, magistrats administratifs, avocats… Des policiers, des notaires, des associations de victimes, des syndicalistes du secteur privé, des professionnels de santé, des citoyens de divers horizons ont également exprimé leur solidarité à l’égard de ce mouvement inédit.

Il importe ensuite de rappeler, de la manière la plus claire, quels mots d’ordre ont été adoptés hier soir par la coordination nationale, à l’issue d’une réunion à laquelle ont participé des organisations représentant l’ensemble des professions du ministère de la justice – dont les directeurs des services pénitentiaires qui ont rejoint le mouvement :

* maintien des renvois d’audiences d’ores et déjà décidés pour cette semaine, permettant notamment la tenue d’assemblées générales où pourront être discutées les modalités de la rédaction et de la diffusion d’états des lieux dans chaque juridiction ;

* pas d’appel aux renvois des audiences au-delà de cette semaine, sans préjudice de l’autonomie des assemblées générales dans la définition de leurs modes d’action ;

* poursuite déterminée de la mobilisation sous de nouvelles formes, à savoir :

* rédaction d’états des lieux, service par service, juridiction par juridiction, largement diffusés : hiérarchie, élus locaux, garde des Sceaux, Elysée, citoyens (affichages, lectures en début d’audiences, journées portes ouvertes, conférences de presse, courriers aux élus...) ;

* application stricte de la loi sur les trois points déjà ciblés en septembre 2010 par la coordination : pas d’audience sans greffier, respect de la circulaire Lebranchu sur la durée des audiences, renvoi en formation collégiale des affaires complexes jusqu’à présent traitées en juge unique (civil + pénal) ;

* nouvelle journée nationale d’action programmée fin mars.

Il n’a donc en aucun cas été décidé :

* de mettre fin au mouvement ;

* d’appeler à la reprise immédiate des audiences dans toutes les juridictions.

De fait, de nombreuses juridictions réunies aujourd’hui en assemblées générales ont décidé dans l’immédiat de poursuivre les renvois d’audiences – dans l’attente notamment d’une prise de position claire du garde des Sceaux concernant les directeurs des services pénitentiaires – et préparent de nouvelles actions pour inscrire leur mobilisation dans la durée.

La position des personnels mobilisés est dépourvue d’ambiguïté. Pleinement solidaires des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, ils refusent que des poursuites disciplinaires soient engagées contre quiconque n’aurait commis aucune faute personnelle dans le seul but de satisfaire les caprices présidentiels. Par ailleurs, les annonces de « moyens » faites hier après-midi par le garde des Sceaux n’ont convaincu personne : débloquer 6,4 millions d’euros (sur un budget de 7 milliards d’euros) pour recruter des retraités, des vacataires, des juges de proximité et des assistants de justice, c’est-à-dire des personnels précaires et souvent non formés, revient à vouloir apposer un pansement sur une jambe de bois.

Puisque la volonté politique n’est toujours pas au rendez-vous, les professionnels de la justice, eux, le seront. N’en déplaise à ceux qui voudraient les renvoyer au prétendu « corporatisme » dont se rendraient coupables tous les corps de métier lorsqu’ils résistent aux oukazes du pouvoir politique, les acteurs du monde judiciaire continueront, ensemble et en lien avec la population, de faire entendre leur voix dans les jours, les semaines et les mois à venir, aussi fort qu’il le faudra.

Le chef de l’Etat a perdu une bonne occasion de se taire. Il appartient maintenant au ministre de la justice d’agir, dans l’intérêt de tous.

Nous ne nous laisserons pas faire."