mercredi 29 février 2012

Jour 1754

C'est à devenir fou


"Le 23 février, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France à l'unanimité pour avoir infligé un traitement inhumain et dégradant à Z.G. L'intéressé, souffrant d'une « psychose chronique de type schizophrénique » avait été maintenu en détention pendant quatre ans, de 2005 à 2009. Selon la Cour, « la gravité de la maladie dont est atteint [Z.G.] est incontestée » et il aurait dès lors dû faire l’objet de « mesures aptes à ne pas aggraver son état mental (…) ce que n’ont pas permis les nombreux allers-retours de celui-ci entre la détention ordinaire et ses hospitalisations ». De 2005 à 2009, Z.G. est incarcéré à la maison d'arrêt des Baumettes à Marseille, avant d'être déclaré pénalement irresponsable lors d'un procès en appel devant la Cour d'assises des Bouches-du-Rhône et hospitalisé d’office le 22 septembre 2009. Durant sa détention, il a fait l’objet de sept hospitalisations d’office et effectué douze séjours de quelques semaines au Service Médico-Psychologique Régional (SMPR) de l'établissement. La cour qualifie de « vaine » cette alternance de courts séjours à l’hôpital psychiatrique et de retours en établissement pénitentiaire, « les premiers étant trop brefs et aléatoires, les seconds incompréhensibles et angoissants pour le requérant ». Ces va-et-vient incessants ont, selon la Cour, « fait obstacle à la stabilisation de l’état de l’intéressé, démontrant ainsi son incapacité à la détention ».Examinant les conditions de prise en charge au sein de ce service, les juges de Strasbourg se réfèrent à un rapport de décembre 2011 dans lequel la Cour des Comptes décrit le « délabrement » et « l’insalubrité » du lieu, considérant que « cette situation inacceptable en soi, [l’était] plus encore pour ces cas de maladie mentale ». Partant, la Cour a considéré que « combinées à la rudesse du milieu carcéral, ces conditions n’ont pu qu’aggraver son sentiment de détresse, d’angoisse et de peur ». La décision du 23 février condamne de fait la pénalisation croissante des personnes atteintes de troubles psychiques. Se référant à deux affaires dans lesquelles elle s’était déjà prononcée sur le maintien en détention des personnes souffrant de pathologies psychiatriques graves, dont l'une condamnait déjà la France, la Cour rappelle que le placement « dans un établissement inapte à l’incarcération des malades mentaux » pose « de graves problèmes au regard de la Convention ». Les juges insistent sur l’importance de tenir compte de la « vulnérabilité » des personnes et « de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets d’un traitement donné sur leur personne ». Or, l'envoi et le maintien en prison de telles personnes est une pratique récurrente en France, résultant des évolutions conjointes de la psychiatrie et de la justice pénale, qui aboutissent à un transfert de prise en charge des personnes les plus marginalisées et atteintes de troubles psychiques sévères de l'hôpital vers la prison. Dans un communiqué du 7 février dernier, l'OIP a rendue publique la situation d'une personne atteinte d'une psychose schizophrénique, et cependant incarcérée le 20 janvier 2012, plus de dix mois après sa condamnation à quatre mois de prison ferme. Les faits mineurs pour lesquels il avait été condamné remontent au mois de novembre 2010 et avaient été commis sous l'empire d'une décompensation psychotique. En 2006, la responsable du SMPR de Fresnes avait fustigé « ces erreurs patentes d’orientation ». Pointant la nécessité croissante d’hospitaliser des « arrivants », elle interpellait les juges « qui les envoient en prison en précisant : ce sont des malades mentaux, totalement suicidaires, mais qui (les y) envoient quand même ! ». L' « incarcération de malades mentaux est devenue une alternative banalisée à l'hospitalisation », déplore l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire. Dans l'affaire jugée par la CEDH, le requérant avait été condamné en cour d'assises à dix années de réclusion criminelle pour le décès de son co-détenu après qu'il eut mis le feu à leur cellule du centre pénitentiaire de Toulon la Farlède (Var) le 16 août 2005. Il venait d'être incarcéré le 21 mai 2005, « à la suite d’une dégradation commise dans l’hôpital psychiatrique » où « il venait demander son hospitalisation ». Comme le disait le président de la République en 2008, « des malades en prison, c’est un scandale »."