vendredi 18 mars 2011

Jour 1407

Gar(d)e à vous !

Forum pénal, le 4 mars 2011 :

"Alors que les débats sur le projet de loi réformant la garde à vue commençaient au Sénat, les professionnels du droit se réunissaient pour débattre ensemble de ce même projet de loi et de ses implications concrètes. Etaient présents pour un débat constructif, les policiers (représentés par leurs syndicats majoritaires le SNOP pour les officiers de police et le SCPN pour les commissaires de police), les magistrats (représentés par l’USM et l’AFMI) et les avocats (représentés par le CNB).

Loin des débats corporatistes et des clichés, les personnes présentes voulaient démontrer (et ce fût réussi) qu’elles pouvaient se retrouver dans une même pièce pour évoquer une réforme pour laquelle tout le monde s’accorde sur le point qu’elle est inéluctable.

Deux points étaient abordés : comment diminuer le nombre et la durée des gardes à vue et comment gérer les droits nouveaux ?

Sur le nombre des gardes à vue, tous font le même constat : tant que les droits seront liés au statut de gardé à vue, il ne pourra pas y avoir diminution du nombre de mesures ; le seul moyen de faire baisser les chiffres serait finalement de détacher l’octroi de ces droits du statut de gardé à vue en prévoyant par exemple une audition libre mais assistée.

Toutes les personnes présentes se sont également accordées sur le flou du projet de loi qui laisse la porte ouverte à l’insécurité juridique et aux risques de tensions entre policiers et magistrats, policiers et avocats, magistrats et avocats. Ainsi, l’absence de prévision claire des cas de nullités va entraîner au moins les premiers temps d’application des nouvelles dispositions la multiplication des demandes d’annulation et il faudra attendre que la chambre criminelle se prononce pour unifier un tant soit peu les choses : ce sera autant de mois d’insécurité juridique.

Les incohérences les plus criantes soulevées unanimement sont la prolongation du délai de carence pour l’assistance d’un avocat (pourquoi 12h00 ou 24h00 de carence) ou son absence les premiers jours dans les régimes dérogatoires (terrorisme, criminalité organisée) alors que justement l’objectif de la réforme est de permettre l’assistance de l’avocat et que les conditions de ces retards d’assistance ne sont pas précises ni pertinentes. Conjugué aux dispositions insérées dans l’article préliminaire précisant que les aveux passés sans assistance d’un avocat ne peuvent servir de fondement à une condamnation, l’édifice s’effondre : à quoi bon retarder la présence de l’avocat si les déclarations faites ne peuvent être utilisées ?

L’insuffisance des droits d’assistance par un avocat accordés à la victime au regard de ceux prévus pour le gardé à vue sont unanimement dénoncés.

De nombreux autres problèmes ont été soulevés (les locaux exigus, les fouilles corporelles, les conflits d’intérêts…) et même si les avocats affirment se préparer pour assurer leur rôle pleinement dès que la réforme entrera en vigueur (avec la création de pool d’avocats dédiés pendant 6 mois ou un an à la garde à vue), ils reconnaissent que Paris se trouve dans une situation privilégiée par rapport aux autres barreaux avec ses 25000 inscrits : les autres barreaux vont incontestablement rencontrer de grosses difficultés d’organisation.

La conclusion est simple : le projet actuel comporte trop d’incohérences pour être réellement viable à long terme et satisfaisant juridiquement. Si les moyens financiers ne sont pas véritablement investis, les professionnels seront rapidement dans l’impasse.

Les parlementaires avaient été invités à assister aux débats : une seule député a pris la peine de se déplacer au grand regret des organisateurs qui ont le sentiment de ne pas être entendus (malgré les auditions par les différentes commissions des lois) par un législateur qui semble ainsi peu soucieux de la mise en oeuvre concrète d’une réforme pourtant fondamentale."