Sous clé
Le Monde, 29 mars 2011 :
"L'asile est de retour. Les murs d'enceinte des hôpitaux psychiatriques, qui avaient été abolis à partir des années 1970, font physiquement et symboliquement leur réapparition. En 2008, après un fait divers dramatique, Nicolas Sarkozy avait demandé la fermeture des établissements psychiatriques et le durcissement de l'internement d'office des malades, désormais considérés comme potentiellement dangereux. Deux ans après, ce programme est en passe d'être mis à exécution : la réforme de la loi de 1990 sur les hospitalisations sans consentement, qui a été adoptée en première lecture le 22 mars par les députés, parachève le virage sécuritaire imposé par les pouvoirs publics à la psychiatrie publique.
La psychiatrie était engagée, depuis une trentaine d'années, dans un mouvement de désinstitutionnalisation pour sortir les malades mentaux des grandes structures asilaires et les réinscrire dans la cité. Dans la foulée du mouvement de l'antipsychiatrie, les soignants avaient reconnu l'effet néfaste et désocialisant de la mise à l'écart. Des structures plus proches des patients, tels les centres médico-psychologiques, qui les suivent en ville, ont été créées.
Mais ce mouvement, s'il tendait à déstigmatiser la maladie mentale, a eu ses effets pervers. La fermeture de quelque 50 000 lits d'hospitalisation n'a pas toujours été compensée par l'ouverture de structures alternatives. Le manque de places a conduit à la crise du secteur, créant des ruptures de soins pour certains malades insuffisamment pris en charge.
C'est dans ce contexte que la psychiatrie a vécu deux drames qui ont considérablement assombri ses perspectives. En 2004, à Pau, un patient schizophrène, qui n'était plus soigné par l'hôpital, a tué sauvagement une infirmière et une aide-soignante. Quatre ans plus tard, à Grenoble, un malade en permission de sortie a assassiné un jeune homme en plein centre-ville. La psychiatrie a été mise en cause pour ses manquements. Peu comprise dans son fonctionnement - le risque zéro existe en santé mentale encore moins qu'ailleurs -, elle a été attaquée dans ses fondements. En décembre 2008, dans un discours qui a marqué au fer les psychiatres, M. Sarkozy leur imposait un changement de paradigme : annonçant un durcissement de l'internement d'office, il faisait primer la préoccupation sécuritaire sur le soin.
Depuis, les portes des hôpitaux se referment progressivement sur les malades internés. Dès 2009, 70 millions d'euros ont été débloqués pour bâtir ou rebâtir les enceintes des hôpitaux, créer des unités fermées et des chambres d'isolement, multiplier les dispositifs de surveillance (portiques et caméras). Les préfets ont ensuite reçu l'ordre de ne plus valider systématiquement les sorties des malades hospitalisés d'office, même si elles sont soutenues par les psychiatres. Une circulaire leur a été adressée, le 11 janvier 2010, afin qu'ils s'assurent "de la comptabilité de la mesure de sortie avec les impératifs d'ordre et de sécurité publics". L'avis "des services de police ou de gendarmerie" est requis pour étayer la décision des préfets.
Les effets de cette politique viennent d'être mesurés par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, une personnalité indépendante qui visite inopinément les hôpitaux psychiatriques. Dans un avis publié le 20 mars, Jean-Marie Delarue constate que les levées d'internement d'office ne sont plus accordées qu'au compte-gouttes. Tout se passe comme si, malgré les soins prodigués, le patient reste considéré comme "aussi dangereux pour lui-même ou autrui qu'au jour de son hospitalisation". Comme dans un mauvais film sont retenues en psychiatrie "des personnes dont l'état, attesté par les médecins, ne justifie pas qu'elles y soient maintenues contreleur gré".
Pis, cette situation fait "obstacle à l'hospitalisation de personnes qui en auraientau contraire besoin". Les hôpitaux prennent peu à peu une couleur carcérale : un "nombre croissant d'unités hospitalières sontaujourd'hui fermées à clé", ce qui a des effets sur les personnes hospitalisées de leur plein gré, également "privées de leur liberté d'aller et venir".
On comprend mieux, dans ce contexte, la très forte hostilité suscitée par la révision de la loi de 1990 sur les soins sans consentement. Alors que la réforme était réclamée depuis des années par les psychiatres, les patients et leurs familles, le texte n'est analysé qu'au filtre du souci sécuritaire du gouvernement. Des innovations, qui auraient pu être intéressantes comme l'observation du patient pendant 72 heures avant toute hospitalisation ou la possibilité de suivre un traitement sous le régime de la contrainte mais chez soi, sont considérées avec méfiance par les soignants.
L'instauration d'un fichier des antécédents médicaux des malades - véritable "casier psychiatrique", selon les psychiatres - et le durcissement des conditions de sortie des personnes internées ont achevé de catalyser l'opposition au projet de loi. La psychiatrie attendait une réforme sanitaire, elle voulait soigner plutôt qu'enfermer. La voilà confrontée au retour du refoulé asilaire."
Le Monde, 29 mars 2011 :
"L'asile est de retour. Les murs d'enceinte des hôpitaux psychiatriques, qui avaient été abolis à partir des années 1970, font physiquement et symboliquement leur réapparition. En 2008, après un fait divers dramatique, Nicolas Sarkozy avait demandé la fermeture des établissements psychiatriques et le durcissement de l'internement d'office des malades, désormais considérés comme potentiellement dangereux. Deux ans après, ce programme est en passe d'être mis à exécution : la réforme de la loi de 1990 sur les hospitalisations sans consentement, qui a été adoptée en première lecture le 22 mars par les députés, parachève le virage sécuritaire imposé par les pouvoirs publics à la psychiatrie publique.
La psychiatrie était engagée, depuis une trentaine d'années, dans un mouvement de désinstitutionnalisation pour sortir les malades mentaux des grandes structures asilaires et les réinscrire dans la cité. Dans la foulée du mouvement de l'antipsychiatrie, les soignants avaient reconnu l'effet néfaste et désocialisant de la mise à l'écart. Des structures plus proches des patients, tels les centres médico-psychologiques, qui les suivent en ville, ont été créées.
Mais ce mouvement, s'il tendait à déstigmatiser la maladie mentale, a eu ses effets pervers. La fermeture de quelque 50 000 lits d'hospitalisation n'a pas toujours été compensée par l'ouverture de structures alternatives. Le manque de places a conduit à la crise du secteur, créant des ruptures de soins pour certains malades insuffisamment pris en charge.
C'est dans ce contexte que la psychiatrie a vécu deux drames qui ont considérablement assombri ses perspectives. En 2004, à Pau, un patient schizophrène, qui n'était plus soigné par l'hôpital, a tué sauvagement une infirmière et une aide-soignante. Quatre ans plus tard, à Grenoble, un malade en permission de sortie a assassiné un jeune homme en plein centre-ville. La psychiatrie a été mise en cause pour ses manquements. Peu comprise dans son fonctionnement - le risque zéro existe en santé mentale encore moins qu'ailleurs -, elle a été attaquée dans ses fondements. En décembre 2008, dans un discours qui a marqué au fer les psychiatres, M. Sarkozy leur imposait un changement de paradigme : annonçant un durcissement de l'internement d'office, il faisait primer la préoccupation sécuritaire sur le soin.
Depuis, les portes des hôpitaux se referment progressivement sur les malades internés. Dès 2009, 70 millions d'euros ont été débloqués pour bâtir ou rebâtir les enceintes des hôpitaux, créer des unités fermées et des chambres d'isolement, multiplier les dispositifs de surveillance (portiques et caméras). Les préfets ont ensuite reçu l'ordre de ne plus valider systématiquement les sorties des malades hospitalisés d'office, même si elles sont soutenues par les psychiatres. Une circulaire leur a été adressée, le 11 janvier 2010, afin qu'ils s'assurent "de la comptabilité de la mesure de sortie avec les impératifs d'ordre et de sécurité publics". L'avis "des services de police ou de gendarmerie" est requis pour étayer la décision des préfets.
Les effets de cette politique viennent d'être mesurés par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, une personnalité indépendante qui visite inopinément les hôpitaux psychiatriques. Dans un avis publié le 20 mars, Jean-Marie Delarue constate que les levées d'internement d'office ne sont plus accordées qu'au compte-gouttes. Tout se passe comme si, malgré les soins prodigués, le patient reste considéré comme "aussi dangereux pour lui-même ou autrui qu'au jour de son hospitalisation". Comme dans un mauvais film sont retenues en psychiatrie "des personnes dont l'état, attesté par les médecins, ne justifie pas qu'elles y soient maintenues contreleur gré".
Pis, cette situation fait "obstacle à l'hospitalisation de personnes qui en auraientau contraire besoin". Les hôpitaux prennent peu à peu une couleur carcérale : un "nombre croissant d'unités hospitalières sontaujourd'hui fermées à clé", ce qui a des effets sur les personnes hospitalisées de leur plein gré, également "privées de leur liberté d'aller et venir".
On comprend mieux, dans ce contexte, la très forte hostilité suscitée par la révision de la loi de 1990 sur les soins sans consentement. Alors que la réforme était réclamée depuis des années par les psychiatres, les patients et leurs familles, le texte n'est analysé qu'au filtre du souci sécuritaire du gouvernement. Des innovations, qui auraient pu être intéressantes comme l'observation du patient pendant 72 heures avant toute hospitalisation ou la possibilité de suivre un traitement sous le régime de la contrainte mais chez soi, sont considérées avec méfiance par les soignants.
L'instauration d'un fichier des antécédents médicaux des malades - véritable "casier psychiatrique", selon les psychiatres - et le durcissement des conditions de sortie des personnes internées ont achevé de catalyser l'opposition au projet de loi. La psychiatrie attendait une réforme sanitaire, elle voulait soigner plutôt qu'enfermer. La voilà confrontée au retour du refoulé asilaire."