A qui profite le crime ?
Le Monde, 9 septembre 2011 :
"Souvenez-vous. Il fut un temps où aucun militaire ne patrouillait, Famas en bandoulière, sur le parvis de Notre-Dame de Paris, un temps où vos e-mails avaient peu de risques d'être interceptés, où votre mine déconfite sur le trajet du bureau n'était pas immortalisée chaque jour par des dizaines de caméras, une époque révolue où embarquer un flacon de shampoing à bord d'un avion était encore un geste anodin... C'était avant le 11 Septembre 2001. [...] Des soldats patrouillant en rangers, l'arme au poing, dans les gares, les aéroports et les lieux touristiques. L'image est devenue banale. Elle est l'une des conséquences les plus visibles de la lutte contre le terrorisme, incarnée par le plan Vigipirate. [...] ce plan est entièrement repensé au lendemain du 11 septembre 2001 et sera maintenu en "niveau rouge" de façon continue à partir des attentats de Londres en 2005. La dernière version du plan, en vigueur depuis janvier 2007, est fondée sur un postulat clair : "la menace terroriste doit désormais être considérée comme permanente". [...] En 2009, le "pays des droits de l'homme" a procédé à pas moins de 514 813 demandes d'accès aux "logs" (qui a téléphoné ou envoyé un mail à qui, quand, d'où, pendant combien de temps ?) conservées par les opérateurs de téléphonie fixe ou mobile, et les fournisseurs d'accès à Internet (FAI). La surveillance des télécommunications est encadrée au niveau communautaire. Mais à titre de comparaison, le pays le plus peuplé de l'UE, l'Allemagne, n'en a réalisé que 12 684, soit 42 fois moins que la France. [...] En raison de son caractère exceptionnel, la mesure était censée durer jusqu'au 31 décembre 2003, avant d'être éventuellement prolongée après un rapport d'évaluation. Mais un amendement déposé par Christian Estrosi au projet de Loi sur la sécurité intérieure (LSI), le 21 janvier 2003, la rendra définitive. Censée prévenir les menaces d'attentats, la surveillance des internautes est aujourd'hui totalement séparée de l'existence ou non d'une menace terroriste. [...] Un pas de plus est franchi en 2006 : la loi relative à la lutte contre le terrorisme (LCT) présentée par le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, élargit l'obligation de conservation des "données de trafic" aux cybercafés. Elle permet en outre aux services antiterroristes de pouvoir y accéder en dehors de tout contrôle de l'autorité judiciaire, après avis d'une personnalité qualifiée "placée auprès du ministre de l'intérieur". La surveillance d'Internet échappe désormais à toute procédure judiciaire pour se placer sous le contrôle direct de l'Etat. [...] Après les attentats du 11-Septembre, l'administration Bush exige des compagnies européennes qu'elles lui transmettent les données personnelles de leurs passagers en partance vers les Etats-Unis. En cas de refus, ces dernières se verraient interdire d'atterrissage sur le territoire américain. Bruxelles négocie aussitôt un accord, que la cour de justice européenne s'empresse de juger illégal. Le superviseur européen pour la protection des données fait lui aussi part de ses "doutes sérieux quant à [sa] compatibilité avec les droits fondamentaux" en vigueur en Europe. Ces fichiers, dits PNR (Personal Name Record), seront pourtant diffusables à toutes les agences associées au Département de la sécurité intérieure, comme la CIA et le FBI, qui pourront les conserver pendant quinze ans. Les données en question peuvent comprendre : votre nom, votre adresse, votre numéro de carte de crédit, ainsi que vos habitudes alimentaires... [...] "Le problème, c'est que toutes ces procédures dérogatoires introduites au nom de l'antiterrorisme ont fini par devenir la norme, souligne Christophe André, l'auteur de Droit pénal spécial. Puisqu'elles se révèlent efficaces contre ce monstre qu'est le terrorisme, elles sont donc employées pour combattre d'autres monstres et ont fini par contaminer l'ensemble du droit pénal". "
"Souvenez-vous. Il fut un temps où aucun militaire ne patrouillait, Famas en bandoulière, sur le parvis de Notre-Dame de Paris, un temps où vos e-mails avaient peu de risques d'être interceptés, où votre mine déconfite sur le trajet du bureau n'était pas immortalisée chaque jour par des dizaines de caméras, une époque révolue où embarquer un flacon de shampoing à bord d'un avion était encore un geste anodin... C'était avant le 11 Septembre 2001. [...] Des soldats patrouillant en rangers, l'arme au poing, dans les gares, les aéroports et les lieux touristiques. L'image est devenue banale. Elle est l'une des conséquences les plus visibles de la lutte contre le terrorisme, incarnée par le plan Vigipirate. [...] ce plan est entièrement repensé au lendemain du 11 septembre 2001 et sera maintenu en "niveau rouge" de façon continue à partir des attentats de Londres en 2005. La dernière version du plan, en vigueur depuis janvier 2007, est fondée sur un postulat clair : "la menace terroriste doit désormais être considérée comme permanente". [...] En 2009, le "pays des droits de l'homme" a procédé à pas moins de 514 813 demandes d'accès aux "logs" (qui a téléphoné ou envoyé un mail à qui, quand, d'où, pendant combien de temps ?) conservées par les opérateurs de téléphonie fixe ou mobile, et les fournisseurs d'accès à Internet (FAI). La surveillance des télécommunications est encadrée au niveau communautaire. Mais à titre de comparaison, le pays le plus peuplé de l'UE, l'Allemagne, n'en a réalisé que 12 684, soit 42 fois moins que la France. [...] En raison de son caractère exceptionnel, la mesure était censée durer jusqu'au 31 décembre 2003, avant d'être éventuellement prolongée après un rapport d'évaluation. Mais un amendement déposé par Christian Estrosi au projet de Loi sur la sécurité intérieure (LSI), le 21 janvier 2003, la rendra définitive. Censée prévenir les menaces d'attentats, la surveillance des internautes est aujourd'hui totalement séparée de l'existence ou non d'une menace terroriste. [...] Un pas de plus est franchi en 2006 : la loi relative à la lutte contre le terrorisme (LCT) présentée par le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, élargit l'obligation de conservation des "données de trafic" aux cybercafés. Elle permet en outre aux services antiterroristes de pouvoir y accéder en dehors de tout contrôle de l'autorité judiciaire, après avis d'une personnalité qualifiée "placée auprès du ministre de l'intérieur". La surveillance d'Internet échappe désormais à toute procédure judiciaire pour se placer sous le contrôle direct de l'Etat. [...] Après les attentats du 11-Septembre, l'administration Bush exige des compagnies européennes qu'elles lui transmettent les données personnelles de leurs passagers en partance vers les Etats-Unis. En cas de refus, ces dernières se verraient interdire d'atterrissage sur le territoire américain. Bruxelles négocie aussitôt un accord, que la cour de justice européenne s'empresse de juger illégal. Le superviseur européen pour la protection des données fait lui aussi part de ses "doutes sérieux quant à [sa] compatibilité avec les droits fondamentaux" en vigueur en Europe. Ces fichiers, dits PNR (Personal Name Record), seront pourtant diffusables à toutes les agences associées au Département de la sécurité intérieure, comme la CIA et le FBI, qui pourront les conserver pendant quinze ans. Les données en question peuvent comprendre : votre nom, votre adresse, votre numéro de carte de crédit, ainsi que vos habitudes alimentaires... [...] "Le problème, c'est que toutes ces procédures dérogatoires introduites au nom de l'antiterrorisme ont fini par devenir la norme, souligne Christophe André, l'auteur de Droit pénal spécial. Puisqu'elles se révèlent efficaces contre ce monstre qu'est le terrorisme, elles sont donc employées pour combattre d'autres monstres et ont fini par contaminer l'ensemble du droit pénal". "