Délit de chomâge
Le Monde, 10 juin 2011 :
"Il faudrait donc aujourd'hui, au nom de la trop grande proximité entre le montant des revenus touchés par les allocataires de minima sociaux et les salariés au smic, exiger de la part des premiers l'exercice d'un travail gratuit de cinq heures par semaine, c'est-à-dire leur demander une "contrepartie" pour cette aide que la société leur consent.
Cette proposition, évoquée à plusieurs reprises en France ces vingt dernières années mais jamais mise en oeuvre, est le signal qu'une étape nouvelle, très importante, a été franchie dans la remise en cause de la conception française de la solidarité. Rappelons que celle-ci s'enracine notamment dans la loi de 1905 qui a institué et mis à la charge de l'Etat une obligation d'assistance, puis dans la Constitution de 1946.
Rappelons aussi que, dans le cas du revenu minimum d'insertion (RMI), le contrat d'insertion que les allocataires devaient signer ne constituait pas une "contrepartie" de l'allocation versée, mais bien au contraire une obligation faite à la société d'aider la personne en difficulté : "L'insertion sociale et professionnelle des personnes en difficulté constitue un impératif national", indiquait ainsi l'article 1 de la loi instituant le RMI.
Nous voilà aujourd'hui dans une tout autre configuration : ce n'est plus à la collectivité d'assister les personnes en difficulté, en les aidant notamment à se réinsérer, socialement et professionnellement, c'est à chacun des allocataires, ayant déjà bénéficié des "largesses" publiques, d'offrir une certaine quantité de travail gratuit. Une double punition en quelque sorte. Si cette remise en cause de notre conception de la solidarité est grave, c'est parce qu'elle risque de démultiplier les situations d'isolement, de désespérance et d'exclusion qui ont été si scrupuleusement enregistrées et dénoncées par Jean-Paul Delevoye, le Médiateur de la République, alors même que toutes ces personnes en décrochage auraient avant tout besoin d'institutions bienveillantes, capables de les aider à accéder à leurs droits, à se reconstruire, à se réintégrer dans la communauté nationale.
Ce qui est grave, c'est ce mépris terrible dans lequel est désormais tenue l'assistance, comme si le fait d'apporter une aide aux personnes constituait désormais un péché social. Ce qui est grave, c'est cette confusion générale qui laisse croire que la solidarité s'inscrit dans le paradigme du "donnant-donnant".
Ce qui est grave, c'est la manière dont on entretient (dont on fabrique de toutes pièces ?) un ensemble de préjugés que la classe politique s'honorerait pourtant de combattre : l'idée que la société française serait lasse de la compassion, fatiguée de la solidarité, en fait partie, de même qu'elle voit dans les allocataires du RMI ou du revenu de solidarité active (RSA) des gens qui ne voudraient pas travailler.
Quiconque a fréquenté les lieux dans lesquels nos concitoyens viennent demander le RSA, raconter leur détresse, se faire évaluer, se faire lire leurs droits et obligations, se faire convoquer aux entretiens, voir leur allocation suspendue en cas de non-respect des obligations, se rendre aux stages, aux forums emploi, à Pôle emploi, sait que la quasi-totalité de ces personnes veut travailler. Mais que l'emploi est rare, voire inexistant pour elles, du moins l'emploi normal, l'emploi décent, celui qui procure un revenu au moins égal au smic, et même les miettes d'emploi, désormais monnaie courante."
Le Monde, 10 juin 2011 :
"Il faudrait donc aujourd'hui, au nom de la trop grande proximité entre le montant des revenus touchés par les allocataires de minima sociaux et les salariés au smic, exiger de la part des premiers l'exercice d'un travail gratuit de cinq heures par semaine, c'est-à-dire leur demander une "contrepartie" pour cette aide que la société leur consent.
Cette proposition, évoquée à plusieurs reprises en France ces vingt dernières années mais jamais mise en oeuvre, est le signal qu'une étape nouvelle, très importante, a été franchie dans la remise en cause de la conception française de la solidarité. Rappelons que celle-ci s'enracine notamment dans la loi de 1905 qui a institué et mis à la charge de l'Etat une obligation d'assistance, puis dans la Constitution de 1946.
Rappelons aussi que, dans le cas du revenu minimum d'insertion (RMI), le contrat d'insertion que les allocataires devaient signer ne constituait pas une "contrepartie" de l'allocation versée, mais bien au contraire une obligation faite à la société d'aider la personne en difficulté : "L'insertion sociale et professionnelle des personnes en difficulté constitue un impératif national", indiquait ainsi l'article 1 de la loi instituant le RMI.
Nous voilà aujourd'hui dans une tout autre configuration : ce n'est plus à la collectivité d'assister les personnes en difficulté, en les aidant notamment à se réinsérer, socialement et professionnellement, c'est à chacun des allocataires, ayant déjà bénéficié des "largesses" publiques, d'offrir une certaine quantité de travail gratuit. Une double punition en quelque sorte. Si cette remise en cause de notre conception de la solidarité est grave, c'est parce qu'elle risque de démultiplier les situations d'isolement, de désespérance et d'exclusion qui ont été si scrupuleusement enregistrées et dénoncées par Jean-Paul Delevoye, le Médiateur de la République, alors même que toutes ces personnes en décrochage auraient avant tout besoin d'institutions bienveillantes, capables de les aider à accéder à leurs droits, à se reconstruire, à se réintégrer dans la communauté nationale.
Ce qui est grave, c'est ce mépris terrible dans lequel est désormais tenue l'assistance, comme si le fait d'apporter une aide aux personnes constituait désormais un péché social. Ce qui est grave, c'est cette confusion générale qui laisse croire que la solidarité s'inscrit dans le paradigme du "donnant-donnant".
Ce qui est grave, c'est la manière dont on entretient (dont on fabrique de toutes pièces ?) un ensemble de préjugés que la classe politique s'honorerait pourtant de combattre : l'idée que la société française serait lasse de la compassion, fatiguée de la solidarité, en fait partie, de même qu'elle voit dans les allocataires du RMI ou du revenu de solidarité active (RSA) des gens qui ne voudraient pas travailler.
Quiconque a fréquenté les lieux dans lesquels nos concitoyens viennent demander le RSA, raconter leur détresse, se faire évaluer, se faire lire leurs droits et obligations, se faire convoquer aux entretiens, voir leur allocation suspendue en cas de non-respect des obligations, se rendre aux stages, aux forums emploi, à Pôle emploi, sait que la quasi-totalité de ces personnes veut travailler. Mais que l'emploi est rare, voire inexistant pour elles, du moins l'emploi normal, l'emploi décent, celui qui procure un revenu au moins égal au smic, et même les miettes d'emploi, désormais monnaie courante."