Ne soyez pas réalistes
Serge Halimi dans le Monde Diplomatique :
"Pendant trente ans, la moindre idée d’une altération quelconque des fondements de l’ordre libéral afin, par exemple, d’améliorer les conditions d’existence de la majorité de la population s’était pourtant heurtée au même type de réponse : tout ceci est bien archaïque ; la mondialisation est notre loi ; les caisses sont vides ; les marchés n’accepteront pas ; savez-vous que le mur de Berlin est tombé ? Et pendant trente ans, la « réforme » s’est faite, mais dans l’autre sens. Celui d’une révolution conservatrice qui livra à la finance des tranches toujours plus épaisses et plus juteuses du bien commun, comme ces services publics privatisés et métamorphosés en machines à cash « créant de la valeur » pour l’actionnaire. Celui d’une libéralisation des échanges qui attaqua les salaires et la protection sociale, contraignant des dizaines de millions de personnes à s’endetter pour préserver leur pouvoir d’achat, à « investir » (en Bourse, dans des assurances) pour garantir leur éducation, parer à la maladie, préparer leur retraite. La déflation salariale et l’érosion des protections sociales ont donc enfanté puis conforté la démesure financière ; créer le risque a encouragé à se garantir contre lui. La bulle spéculative s’est très vite emparée du logement, qu’elle transforma en placement. Sans cesse, elle fut regonflée par l’hélium idéologique de la pensée de marché. Et les mentalités changèrent, plus individualistes, plus calculatrices, moins solidaires. Le krach de 2008 n’est donc pas d’abord technique, amendable par des palliatifs tels que la « moralisation » ou la fin des « abus ». C’est tout un système qui est à terre. [...] MM. Gordon Brown, l’ancien ministre des finances britannique dont la première mesure fut d’accorder son « indépendance » à la Banque d’Angleterre, José Manuel Barroso, qui préside une Commission européenne obsédée par la « concurrence », Nicolas Sarkozy, artisan du « bouclier fiscal », du travail le dimanche, de la privatisation de La Poste : ces trois-là s’emploient, paraît-il, à « refonder le capitalisme »... [...] Dès 1949, Friedrich Hayek, le parrain intellectuel du courant qui enfanta Ronald Reagan et Mme Margaret Thatcher, lui avait en effet expliqué : « La principale leçon qu’un libéral conséquent doit tirer du succès des socialistes est que c’est leur courage d’être utopiques qui (...) rend chaque jour possible ce qui, récemment encore, semblait irréalisable. »"
Serge Halimi dans le Monde Diplomatique :
"Pendant trente ans, la moindre idée d’une altération quelconque des fondements de l’ordre libéral afin, par exemple, d’améliorer les conditions d’existence de la majorité de la population s’était pourtant heurtée au même type de réponse : tout ceci est bien archaïque ; la mondialisation est notre loi ; les caisses sont vides ; les marchés n’accepteront pas ; savez-vous que le mur de Berlin est tombé ? Et pendant trente ans, la « réforme » s’est faite, mais dans l’autre sens. Celui d’une révolution conservatrice qui livra à la finance des tranches toujours plus épaisses et plus juteuses du bien commun, comme ces services publics privatisés et métamorphosés en machines à cash « créant de la valeur » pour l’actionnaire. Celui d’une libéralisation des échanges qui attaqua les salaires et la protection sociale, contraignant des dizaines de millions de personnes à s’endetter pour préserver leur pouvoir d’achat, à « investir » (en Bourse, dans des assurances) pour garantir leur éducation, parer à la maladie, préparer leur retraite. La déflation salariale et l’érosion des protections sociales ont donc enfanté puis conforté la démesure financière ; créer le risque a encouragé à se garantir contre lui. La bulle spéculative s’est très vite emparée du logement, qu’elle transforma en placement. Sans cesse, elle fut regonflée par l’hélium idéologique de la pensée de marché. Et les mentalités changèrent, plus individualistes, plus calculatrices, moins solidaires. Le krach de 2008 n’est donc pas d’abord technique, amendable par des palliatifs tels que la « moralisation » ou la fin des « abus ». C’est tout un système qui est à terre. [...] MM. Gordon Brown, l’ancien ministre des finances britannique dont la première mesure fut d’accorder son « indépendance » à la Banque d’Angleterre, José Manuel Barroso, qui préside une Commission européenne obsédée par la « concurrence », Nicolas Sarkozy, artisan du « bouclier fiscal », du travail le dimanche, de la privatisation de La Poste : ces trois-là s’emploient, paraît-il, à « refonder le capitalisme »... [...] Dès 1949, Friedrich Hayek, le parrain intellectuel du courant qui enfanta Ronald Reagan et Mme Margaret Thatcher, lui avait en effet expliqué : « La principale leçon qu’un libéral conséquent doit tirer du succès des socialistes est que c’est leur courage d’être utopiques qui (...) rend chaque jour possible ce qui, récemment encore, semblait irréalisable. »"