mercredi 2 décembre 2009

Jour 937

Prison Europe

La Ligue des Droits de l'Homme, le 2 décembre 2009 :

"Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 30 novembre 2009, quatre projets de décisions pour la mise en place le 1er janvier 2010 (1) de l’Office européen de police Europol. Ceci à la veille de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre. Cette précipitation du Conseil a conduit le Parlement européen à voter une motion de rejet à l’encontre de ces projets (2) pour dénoncer ce déni de démocratie. La procédure législative ordinaire de co-décision instaurée par le Traité de Lisbonne aurait pourtant dû s’imposer à la faveur de l’entrée en vigueur du nouveau traité, mais les Etats de l’Union sont passés outre et ont imposé leur choix contre l’avis des parlementaires.

L’AEDH tient à exprimer sa profonde inquiétude face au manque de respect dont fait preuve le Conseil envers les parlementaires européens, envers les citoyens de l’Union européenne, envers la démocratie, après que les Etats de l’Union aient imposé un traité dont ils tentent de détourner les règles dans les heures qui précèdent sa mise en application.

Le Conseil est-il à ce point inquiet des garanties qu’exigeaient légitimement les parlementaires concernant les activités, la constitution et le traitement des fichiers, et le contrôle d’Europol ? Est-ce respecter le processus démocratique que de déposer pour avis quatre projets de décision3 le 24 juillet 2009 au moment de l’installation du nouveau Parlement ne permettant la saisine de la Commission Justice, Liberté et Sécurité qu’au mois d’octobre, pour aboutir enfin à un contournement du traité de Lisbonne ? Pourtant les députés européens ne se sont pas montrés hostiles à la création du nouvel office Europol, ils ont seulement marqué leurs inquiétudes et souligné les graves insuffisances de contenu et de règles des projets de décision du Conseil.

L’AEDH partage ces inquiétudes concernant notamment : les modalités de constitution des fichiers de données personnelles et leurs contenus, l’octroi d’accès aux fichiers à d’autres organismes européens ou internationaux ainsi qu’à des pays tiers, les interconnexions entre fichiers et leur interopérabilité, l’insuffisance des règles de protection des données, les restrictions apportées pour l’accès à leurs données par les personnes concernées ainsi que le déficit de mesures de contrôle. On s’étonne à cet égard que la Commission et le Conseil aient si peu tenu compte de l’avis4 du Contrôleur européen de la protection des données, le CEPD.

L’AEDH ne peut que constater le flou entretenu sur les finalités de l’Office, sur la définition des personnes « soupçonnées d’avoir commis une infraction ou participé à une infraction ». Elle ne peut que condamner que soit envisagé, fusse à des fins d’analyse, « Le traitement de données à caractère personnel révélant l’origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques, ou l’appartenance syndicale, ainsi que le traitement de données concernant la santé ou la sexualité »5 qui ne seraient certes « autorisés que s’ils sont strictement nécessaires à la finalité du fichier concerné » sans même définir ce qui est strictement nécessaire.

L’AEDH, aujourd’hui, ne doute pas de l’intégrité, du professionnalisme et du désir du personnel d’Europol et de son directeur d’agir avec éthique, avec respect des libertés individuelles et des droits de l’Homme. Mais cela ne permet pas d’affranchir la nouvelle agence Europol de contrôles réellement indépendants. On ne peut que s’étonner que le délégué à la protection des données, membre du personnel d’Europol, n’ait pas plus d’indépendance ; que ne soit pas clairement établi les modes de désignation des autorités de contrôle nationales et par voie de conséquence de l’autorité de contrôle commune. Comment se fait-il que le Contrôleur européen de la protection des données n’ait aucun rôle de contrôle et d’évaluation ? Que le contrôle du Parlement soit réduit au contrôle budgétaire et à l’audition d’un rapport d’activité ?

L’AEDH s’indigne du fait que les principes démocratiques les plus élémentaires ne soient pas respectés et qu’un message aussi négatif soit envoyé aux citoyens de l’Union. Elle rappelle que selon l’article 10 du Traité instituant la Communauté européenne6, les institutions sont supposées coopérer et agir de manière loyale, dans la mise en oeuvre des relations interinstitutionnelles.

L’AEDH appelle le Conseil et la Commission à revoir leur décision, à instaurer un véritable débat démocratique sur les missions d’Europol et son contrôle, et elle appelle les citoyens de l’Union et les élus à se mobiliser pour imposer au Conseil d’aller dans ce sens."