vendredi 3 décembre 2010

Jour 1302

Ne passez pas par la case diplôme

L'observatoire International des Prisons :

"Pas plus qu'elles ne peuvent s'asseoir sur les bancs de l'école, les personnes détenues ne sont autorisées à sortir pour apprendre à l'université. Une impossibilité d'autant plus problématique que très peu nombreux sont les enseignants affectés en prison, et encore plus rares les universitaires. Parent pauvre des priorités du ministère de l'Education nationale, l'enseignement dispensé derrière les murs s'avère en outre engoncé dans le carcan des contraintes de la vie carcérale et des limitations de toute nature imposées par l'administration pénitentiaire. Enquête sur les conditions d'apprentissage de cette catégorie d'étudiants-empêchés que sont les détenus qui veulent entreprendre ou achever des études supérieures. Une situation particulièrement révélatrice de l'anachronisme de la réglementation en vigueur. Si ce n'est de son cynisme.



Si apprendre à lire et à écrire ou préparer son baccalauréat n'a rien d'une sinécure en prison, commencer ou poursuivre des études supérieures avec le statut de détenu relève de la course d'obstacles. Et pour cause, censé assurer une « éducation de qualité équivalente à celle dispensée dans le monde extérieur » de sorte à garantir « les meilleures chances de formation et de réinsertion professionnelle »1, le ministère de l'Éducation nationale n'affecte en moyenne que l'équivalent d'un poste d'enseignant à temps plein pour cent personnes incarcérées. Les caractéristiques de la population qui se retrouve derrière les murs justifieraient pourtant que la prison soit déclarée « zone d'éducation prioritaire » : 10 % des entrants en prison en 2008 se trouvaient en situation d'illettrisme, 13 % éprouvaient des difficultés de lecture et 89 % étaient sans diplômes ou titulaires d'une certification inférieure au baccalauréat, selon les données du ministère de la justice. Las, les prisons françaises sont loin de bénéficier du personnel, mais aussi des crédits et de l'équipement « nécessaires pour permettre aux détenus de recevoir une éducation appropriée »2. Ce qui est pourtant l'exigence minimale posée par le conseil de l'Europe. Cette pénurie de moyens humains et financiers a pour conséquence la concentration des maigres ressources disponibles sur l'enseignement de niveau primaire, collège, ou lycée. Quand ce n'est pas sur l'alphabétisation de base. Autant dire que les détenus de qualification supérieure - qui représentent seulement 2 % de l'ensemble des personnes suivant des cours en détention - ne sont pas une priorité pour les services de la rue de Grenelle. Et de fait, l'affectation de professeurs de niveau universitaire derrière les murs est rare. Partiellement financée jusqu'à aujourd'hui par le ministère... du travail, elle semble même être en voie d'extinction au vu des difficultés de l'université Paris VII à maintenir son intervention au sein de quatre prisons de la région francilienne (lire notre article).


Dans ce contexte, les personnes détenues n'ont d'autre solution que de recourir à l'enseignement à distance pour entrevoir l'espoir d'accéder à une formation universitaire. Problème : la débauche d'interdits et de limitations que recèle la règlementation pénitentiaire leur bouchent singulièrement l'horizon. D'abord, la moindre démarche - inscription à la faculté ou aux examens, commande de manuels à caractère pédagogique - suppose d'obtenir une autorisation exceptionnelle. Ensuite, l'entrée effective de livres ou fournitures se heurte au principe de prohibition de toute remise par le biais des parloirs comme sur les restrictions draconiennes qui encadrent la réception de colis. Des libéralités existent certes ici ou là, mais elles diffèrent d'un établissement à l'autre et s'appliquent de manière arbitraire. « On te laisse rentrer des livres, tu fermes ta gueule. Tu fais le con en détention, t'auras pas de livres ! C'est comme ça que se ça se passe. C'est malheureux à dire mais c'est tous les jours comme ça », rapporte Farid, 24 ans, étudiant en BTS3. En tout état de cause, la possession du matériel nécessaire aux études suppose la mobilisation d'un tiers. Et s'ils sont nombreux qui ont leur mot à dire - qu'il s'agisse de la direction de la prison, des surveillants, du centre scolaire de l'établissement ou du responsable local d'enseignement - ils ne manifestent pas tous la meilleure volonté. Cette bonne volonté est pourtant indispensable, dès lors que, contrairement aux étudiants inscrits comme eux dans une formation ouverte à distance - mais libres - les détenus sont privés de tout accès à internet4. Du coup, faute d'identifier une personne ressource susceptible de lui procurer nombre de documents disponibles exclusivement en téléchargement, l'étudiant incarcéré devra se contenter des manuels ou des polycopiés de cours qui lui auront été remis. Par ailleurs, l'impossibilité d'accéder au réseau l'empêchera de bénéficier des conseils prodigués par les enseignants ou des échanges entre élèves, qui se font aujourd'hui par le biais de la correspondance électronique ou des forums de discussion. À supposer qu'il est franchi tous ces obstacles, le détenu devra faire avec les contraintes d'un environnement carcéral, peu propice à la lecture et aux études : « les étudiants nous disent avoir du mal à se concentrer car ils vivent dans le bruit en permanence. Certains travaillent la nuit pour avoir du calme. Même pour la lecture, ils ont du mal à s'immerger », nous explique Crystel Pinçonnat, professeur de littérature comparée et directrice pédagogique de la « section des étudiants empêchés » de Paris VII (lire l'entretien).


« L'éducation est affirmée comme un droit dans la loi, dans les faits c'est plutôt un privilège », affirme Fanny Salane, docteur en sciences de l'éducation et auteure de l'ouvrage « Être étudiant en prison : l'évasion par le haut » (lire l'entretien). Nul n'illustre mieux ce décalage entre le principe et la réalité que le parcours imposé à Monsieur V, 50 ans, actuellement détenu au centre de détention de Bapaume (lire article). Un véritable parcours du combattant."