75%
Frédéric Lordon, dans la Pompe à phynance, le 16 mars 2012 :
"Il y a suffisamment de raisons d’être affligé de la campagne du candidat « socialiste » — qui ne trouve mot à redire au traité MES institutionnalisant les principes de l’« ajustement structurel », promet de renégocier le TSCG avec la franchise d’un trafiquant de voitures d’occasion, fait des moulinets contre la finance avant de se rendre à Londres jurer l’innocuité de ses intentions réelles [...] Le candidat socialiste aurait-il vraiment le projet de s’en prendre aux inégalités, aux chutes dans la précarité des uns et à l’indécente explosion des fortunes des autres, il s’attaquerait à leur principe générateur même, à savoir : la libéralisation financière, l’ouverture du commerce international à toutes les concurrences distordues — bien faites pour déstabiliser les classes ouvrières des pays développés et attaquer les Etats-providences —, l’orthodoxie de politique économique qui commande de satisfaire les investisseurs d’abord et les corps sociaux s’il en reste, soit synthétiquement les structures de la mondialisation néolibérale, spécialement mises en valeur par la construction européenne — dont les prétentions de « bouclier » (« L’Europe est un bouclier contre la mondialisation ») inspirent au choix le rire ou le dégoût. C’est à cela que s’en prendrait donc un candidat de gauche, conscient que la gauche se définit plus par le projet de transformer radicalement le cadre des structures du néolibéralisme que par celui d’y passer la serpillière [...] Entre temps, et comme toujours dans ce genre de circonstances, le syndicat des malévolents monte en chœur au créneau, mais caparaçonné d’arguments « techniques » qui disent tous « l’impossibilité », et en particulier, délicieuse menace, l’inconstitutionnalité, supposée fatale aux 75%. [...] comme il n’est strictement aucun argument, ni celui du mérite ni a fortiori celui du temps travaillé, qui puisse justifier qu’un individu vaille, et gagne, trois cents fois plus qu’un autre, le revenu net maximal est décidément une idée qui a de l’avenir… [...] Il est donc temps de rappeler une ou deux choses à propos des supposés bienfaits de la présence des riches. Et d’abord à propos de l’idée que, entre joyaux de la couronne et cœur battant de l’économie, les riches seraient simplement indispensables à notre prospérité collective. [...] Il conviendrait pour commencer que les libéraux prennent conscience du défaut de cohérence de leur propre argument qui écarte d’abord la taxation des riches par un argument de « second ordre » : bien sûr, on peut si l’on veut l’envisager, mais elle concerne si peu de monde et s’avérera si peu efficace — quelques centaines de millions d’euros supplémentaires pour se faire plaisir, définitivement pas à la hauteur de la centaine de milliards du déficit à réduire... Or l’argument d’échelle se retourne comme un gant : si les riches pèsent si peu en termes fiscaux, c’est qu’ils ne pèsent pas davantage en termes de capacité d’investissement ! Par conséquent le coût d’opportunité économique d’une taxation des riches est aussi négligeable que leur contribution fiscale [...]
À quoi sert donc l’argent des riches ? Mais à rien d’autre qu’à faire tourner la machine entropique qui soutient à peine 7% de la FBCF annuelle [11] et, des énormes masses financières qu’elle enfourne, n’en convertit qu’une portion ridicule en investissement effectif. Pour le dire plus simplement : l’argent des riches ne sert à rien — qu’à s’augmenter lui-même. [...] l se pourrait même que la nation ait beaucoup plus à y gagner à régulariser ceux qui veulent vivre régulièrement sur son sol qu’à tenter de retenir les Florent Pagny, les Alain Delon, et tous les faux indispensables du « dynamisme économique ». À ces derniers en tout cas il faudra expliquer le principe simple de la corrélation entre la nationalité et l’impôt. Et puis les inviter à faire leur choix — mais pour de bon. Qu’ils fuient sous d’autres cieux à la recherche des taux d’imposition qui accroissent encore un peu plus leur fortune, c’est leur affaire. Mais prière en partant de déposer passeport, carte d’électeur, carte de sécu, et d’aller définitivement se faire pendre ailleurs."