Privatisation partout, justice nulle part
Bug Brother, le 4 avril 2012 :
"En conclusion de son reportage, TF1 note qu'"en France, le nombre d'agents de sécurité privée devrait égaler le nombre de policiers et gendarmes en 2015; aux États-Unis, il y a déjà trois fois plus d'agents privés que d'agents publics." En l'espèce, et en France, les supplétifs de la sécurité privée ont de fait augmenté de 140% en 20 ans, et l’on dénombre aujourd’hui, souligne Sabine Blanc sur OWNI, 9 000 entreprises pour 165 000 salariés...
TF1 omet par contre étrangement de préciser que les sociétés de sécurité avaient jusqu’au vendredi d'avant pour déposer un dossier de demande d’agrément ou d’autorisation, suite à l'instauration du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps), chargé, dixit le ministère de l'Intérieur, "d’assainir le secteur de la sécurité privée, afin de favoriser l’émergence d’entreprises saines, performantes et compétitives".
Interrogé par Sabine Blanc, la journaliste qui, ces derniers mois, a probablement le plus -et le mieux- enquêté sur ces questions de surveillance et de libertés, un professionnel de la profession résume bien le problème, en rappelant qu'en 1983, une loi avait été votée afin d'"encadrer et restreindre les activités de la sécurité privée", et qu'elle disait clairement "où on ne doit pas être : sur la voie publique...
"Or, Sarkozy a ouvert une brèche en fermant les commissariats et en baissant les effectifs. La nature ayant horreur du vide, il a fallu combler cela… et c’est nous et la police municipale.
Mais on revient moins cher et on est moins contraignant que la police municipale. Les effectifs de la sécurité privée vont bientôt être plus importants que ceux de la police nationale, de la gendarmerie et des douanes réunis. Trouvez-vous cela normal ? Moi, non.
Nous, on est dans le privé. Et pourtant, on intervient avant le 17 lors de cambriolages, d’effraction ou d’intrusion. Les aéroports sont aux mains de la sécurité privée… ce n’est pas normal. On joue gros et on n’a ni les moyens, ni les formations adaptées."
En résumé : le gouvernement exploite le sentiment d'insécurité pour faire passer des lois mettant l'accent sur le recours à des technologies sécuritaires, tout en ne remplaçant pas un policier (ou gendarme) sur deux; le sentiment d'insécurité ayant été exacerbé par cette instrumentalisation politique des questions de sécurité, le gouvernement prône également un recours accru aux sociétés de sécurité privée... La boucle est bouclée. Les problèmes de sécurité, eux, n'en sont pas pour autant réglés. Pis : on en arrive donc à une situation absurde où ceux qui sont censés incarner le respect de la loi se retrouvent à la violer...
En matière de libertés, par contre, c'est plié : l'objectif assigné aux policiers, gendarmes et agents de sécurité privée de "faire du chiffre" ne peut qu'instrumentaliser, exploiter et augmenter d'autant le sentiment d'insécurité... une spirale infernale qui ne peut que porter atteinte aux libertés, ce que reconnaît d'ailleurs bien volontiers la délégation interministérielle à la sécurité privée du ministère de l'Intérieur :
Avez-vous des exemples de dérives de la sécurité privée ?
Réponse : des comportements qui pourraient porter atteinte aux libertés individuelles sont toujours possible. En assurant la sécurité des entreprises, des particuliers, les agents et entreprises de sécurité privée ont accès à des informations, à des lieux, à une intimité. Cet accès ne doit en aucune manière donner lieu à l’acquisition illégale d’informations, d’intérêts de toute sorte, ou d’abus vis-à-vis de la dignité et du respect de la vie privée des personnes.
Le comportement de certaines entreprises ou de certains agents a pu être considéré comme constituant des empiétements à la fois sur les prérogatives des forces de sécurité publiques et sur le respect de la vie privée, sur le droit d’aller et venir."