mercredi 7 janvier 2009

Jour 609

Thoughtcrime

Un très bon article dans le Monde, le 7 janvier 2009 :

"Julien Coupat et à sa compagne, Yldune Lévy. Tous deux ont été incarcérés, le 16 novembre 2008, avec plusieurs membres d'une prétendue "cellule invisible", pour leur responsabilité présumée dans le sabotage contre les lignes TGV, qualifiée d'"entreprise terroriste", mais ils sont les seuls à être aujourd'hui encore maintenus en détention sans qu'aucune preuve formelle ait pu, semble-t-il, être apportée à leur participation à cette action. Une action, au reste, qui, en seraient-ils responsables, ce qui n'est pas établi, ne relève nullement de l'intention de faire régner la terreur par un attentat contre des civils innocents, sauf à tomber dans une lamentable et effrayante dérive sémantique. C'est pourtant là le point décisif, car c'est principalement sur la base de cette qualification des faits que la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a décidé, vendredi 26 décembre, de maintenir Julien Coupat en détention préventive. Quant à Yldune Lévy, elle n'a toujours pas été auditionnée par un juge d'instruction, un mois et demi après son arrestation. [...] A l'origine de cette étrange rigueur, une circulaire, datée du 13 juin 2008, de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice [dont nous avons parlé ici][...] le Syndicat de la magistrature soulignait le risque que cette circulaire pouvait faire courir, celui "de permettre une extension quasi illimitée d'une législation d'exception" et "de renforcer la répression à l'encontre des différents acteurs du mouvement social". Une inquiétude aujourd'hui amplement justifiée par les faits. Nous apprenons, en effet, que Julien Coupat et Yldune Lévy, incarcérés l'un à la prison de la Santé et l'autre à Fleury-Mérogis, sont traités comme des détenus particulièrement surveillés (DPS), auxquels s'appliquent des mesures de précaution liées à leur prétendue dangerosité. C'est ainsi que, selon une révélation du Canard enchaîné du 17 décembre, "depuis un mois, à la maison d'arrêt des femmes de Fleury-Mérogis, la nuit, toutes les deux heures, la lumière s'allume dans la cellule d'Yldune Lévy, présumée d'"ultragauche" saboteuse de caténaires SNCF (...). Officiellement, c'est "pour la protéger d'elle-même". En réalité, comme le concèdent des juges en privé, il s'agit d'abord d'"attendrir la viande" de cette "dangereuse terroriste"". A la question posée par le journal Libération (11 décembre) : "Comment s'expriment leurs velléités terroristes ?", le contrôleur général Christian Chaboud, responsable de la lutte antiterroriste, a répondu : "De par leur attitude et leur mode de vie." [...] Avec l'altération des rythmes de sommeil, c'est ainsi une des méthodes de privation sensorielle utilisée à grande échelle par les forces américaines dans le cadre de la "guerre contre la terreur", qui serait employée en France à l'endroit d'une personne présumée innocente. Le but est toujours le même : briser la résistance psychique du détenu. Or de telles pratiques, dont la capacité destructrice est indéniable, sont qualifiées, en droit international, d'actes de torture. [...] Nul besoin d'entrer dans le fond du dossier ni d'être lié à la mouvance de l'ultragauche pour dénoncer et condamner ces méthodes dont l'apparition et la légitimation sont inévitables dans une société où le discours de la menace et de la peur conduit à bafouer les règles de la justice ordinaire. [...] Au surplus, l'extension immodérée de la justice d'exception est une dérive dont personne ne peut désormais être assuré qu'il n'en soit un jour victime." (mon emphase)