Cours de matraque en hausse
Libération, le 19 février 2009 :
"«Shiteux» arrêtés pour une once de cannabis à Bastille, prostituées du bois de Vincennes «ramassées» pour racolage, étrangers sans papiers embarqués à la sortie des trains en gare de Bercy, la police fait du chiffre. Nous avons suivi, pour Canal + et Libération, les gardiens de la paix du XIIe arrondissement de Paris durant quinze jours pour voir comment la culture du résultat, instituée en 2002 par Nicolas Sarkozy, se traduit sur le terrain[...] au bout d’un après-midi de vaines recherches, le trio [de policiers] embarque un «shiteux», impasse de Reuilly, et le remet à l’unité de traitement judiciaire en temps réel (UTJTR). On l’appelle aussi «bureau de ramassage», parce qu’elle traite à la chaîne toutes les procédures contre les suspects «ramassés» sur la voie publique par les agents en tenue. L’officier de police judiciaire (OPJ) de permanence trouve «l’affaire minable». Il procède à l’audition de l’usager de cannabis et plaisante sur la boulette insignifiante : «Ça fait zéro gramme sur la balance avec une erreur d’un gramme.» [...] La BAC peut néanmoins cocher un bâton de plus à son tableau. [...] L’avantage, c’est qu’un usager de stupéfiants arrêté, c’est un délit constaté et élucidé tout de suite. Ceci permet de doper le taux d’élucidation des affaires, qui peine à monter à 40 %, comme l’exigent l’Elysée et le ministère de l’Intérieur. Autre mine, le racolage. [...] ce sont les tapineuses du bois de Vincennes qui trinquent. Une Roumaine de 26 ans se fait attraper pour la quatrième fois en un mois. Le lieutenant Sabine B., qui la place en garde à vue, le souligne : «Vos collègues l’ont eue vendredi, déjà. C’est une habituée.» L’interpellateur l’admet, penaud : «Oui, il n’y a qu’elle en ce moment.» [...] Le service de police de quartier (SPQ), qui mène ces opérations [de chasse aux sans-papiers], a reçu la prime collective au mérite pour la deuxième fois en trois ans, 400 euros chacun. En revanche, le service de voie publique (SVP), qui assure les missions de police-secours, gère les accidents de la route et l’assistance aux personnes, n’a jamais bénéficié de cette gratification instituée en 2002 par Nicolas Sarkozy pour récompenser les flics jugés les plus «performants». [...] Grâce au racolage, aux stups et aux étrangers, ce commissariat peut se targuer d’un taux d’élucidation en hausse d’un tiers. Mais ici comme ailleurs, à peine un cambrioleur sur cinq est arrêté et moins encore pour les voleurs de sacs à main. Qu’importe… Dans les chiffres de la délinquance, interpeller une tapineuse ou un shiteux vaut autant qu’arrêter un meurtrier ou un violeur."
Libération, le 19 février 2009 :
"«Shiteux» arrêtés pour une once de cannabis à Bastille, prostituées du bois de Vincennes «ramassées» pour racolage, étrangers sans papiers embarqués à la sortie des trains en gare de Bercy, la police fait du chiffre. Nous avons suivi, pour Canal + et Libération, les gardiens de la paix du XIIe arrondissement de Paris durant quinze jours pour voir comment la culture du résultat, instituée en 2002 par Nicolas Sarkozy, se traduit sur le terrain[...] au bout d’un après-midi de vaines recherches, le trio [de policiers] embarque un «shiteux», impasse de Reuilly, et le remet à l’unité de traitement judiciaire en temps réel (UTJTR). On l’appelle aussi «bureau de ramassage», parce qu’elle traite à la chaîne toutes les procédures contre les suspects «ramassés» sur la voie publique par les agents en tenue. L’officier de police judiciaire (OPJ) de permanence trouve «l’affaire minable». Il procède à l’audition de l’usager de cannabis et plaisante sur la boulette insignifiante : «Ça fait zéro gramme sur la balance avec une erreur d’un gramme.» [...] La BAC peut néanmoins cocher un bâton de plus à son tableau. [...] L’avantage, c’est qu’un usager de stupéfiants arrêté, c’est un délit constaté et élucidé tout de suite. Ceci permet de doper le taux d’élucidation des affaires, qui peine à monter à 40 %, comme l’exigent l’Elysée et le ministère de l’Intérieur. Autre mine, le racolage. [...] ce sont les tapineuses du bois de Vincennes qui trinquent. Une Roumaine de 26 ans se fait attraper pour la quatrième fois en un mois. Le lieutenant Sabine B., qui la place en garde à vue, le souligne : «Vos collègues l’ont eue vendredi, déjà. C’est une habituée.» L’interpellateur l’admet, penaud : «Oui, il n’y a qu’elle en ce moment.» [...] Le service de police de quartier (SPQ), qui mène ces opérations [de chasse aux sans-papiers], a reçu la prime collective au mérite pour la deuxième fois en trois ans, 400 euros chacun. En revanche, le service de voie publique (SVP), qui assure les missions de police-secours, gère les accidents de la route et l’assistance aux personnes, n’a jamais bénéficié de cette gratification instituée en 2002 par Nicolas Sarkozy pour récompenser les flics jugés les plus «performants». [...] Grâce au racolage, aux stups et aux étrangers, ce commissariat peut se targuer d’un taux d’élucidation en hausse d’un tiers. Mais ici comme ailleurs, à peine un cambrioleur sur cinq est arrêté et moins encore pour les voleurs de sacs à main. Qu’importe… Dans les chiffres de la délinquance, interpeller une tapineuse ou un shiteux vaut autant qu’arrêter un meurtrier ou un violeur."