Cadeau Bonus
Sur le blog de l'économiste Frederic Lordon, le 21 août 2009, encore une fois je recommande la lecture de la totalité de l'article :
"« la comédie des engagements », où l’on voit d’abord entrer en scène Le Pouvoir qui ordonne – « J’exige le respect des engagements du G20 » (Nicolas Sarkozy) –, suivi du Banquier qui s’exécute – « Nous respectons scrupuleusement les engagements du G20 » (Baudouin Prot), – enfin rejoints par Le Superviseur qui certifie – « J’ai vérifié : ils respectent bien les engagements du G20 » (Christian Noyer). Comment le public ne serait-il pas très impressionné de cette remarquable orchestration des règles solennellement rappelées, de l’autorité des uns et de l’obéissance des autres ? À ceci près que le public en question peut difficilement se défaire par ailleurs de cette désagréable impression de dissonance cognitive qui vient de s’entendre dire que les « engagements » sont strictement tenus et de voir néanmoins le milliard d’euros provisionnés pour les traders. Il y a deux issues, et deux seulement, à cette dissonance : soit le milliard a été fabriqué, mais aux dernières nouvelles il semble que non, soit c’est la teneur véritable des « engagements » qui doit être questionnée plus sérieusement. À y regarder de plus près il apparaît bien que cette dernière option doive s’imposer : les engagements sont en toc, les engagements sonnent le creux, et ça n’a pas coûté grand-chose à tous ces comédiens des engagements de s’engager solennellement à des engagements qui n’engagent à rien. [...] « Parce qu’ils le valent bien », répond instantanément le sens commun de la finance, bien aidé par tous les relais médiatiques qui s’offrent, entre deux critiques sans conséquence, à rappeler les lois élémentaires de la morale du mérite – ainsi Le Monde et ses reprises des chroniques Breakingviews, dont une récente demande qu’à propos des bonus la seule question posée soit celle de l’éventuelle spoliation du contribuable : « Le législateur devrait s’en tenir à cette seule question. Car le principe qui sous-tend les bonus – selon lequel la rémunération doit dépendre des résultats – est solide » [6].
« Solide », vraiment ? À des choses déjà dites ailleurs [7], il est possible, pour prolonger la nécessaire entreprise de démolition de l’argument méritologique, d’ajouter ceci. La fortune des traders dépend moins de leur compétence individuelle que du segment de marché où le hasard de leur trajectoire professionnelle les a placés. À la fin des années 1990, un trader sur produits de taux pouvait bien déployer tout son méritoire génie, il était voué à gagner infiniment moins que le dernier des lourdauds du desk actions. Sitôt digéré le krach Internet, c’est sur les produits structurés et les dérivés de crédit qu’il fallait être pour faire de l’argent. La conjoncture du « mérite » est changeante et seul un avenir imprédictible, dans la détermination duquel les individus n’ont aucune part, désignera les futurs méritants – à qui iront les bonus « bien mérités » : matières premières ? marchés émergents ? changes ? actions de nouveau ? Car c’est le lieu occupé l’élément déterminant de la performance, et secondairement le talent des individus."
Sur le blog de l'économiste Frederic Lordon, le 21 août 2009, encore une fois je recommande la lecture de la totalité de l'article :
"« la comédie des engagements », où l’on voit d’abord entrer en scène Le Pouvoir qui ordonne – « J’exige le respect des engagements du G20 » (Nicolas Sarkozy) –, suivi du Banquier qui s’exécute – « Nous respectons scrupuleusement les engagements du G20 » (Baudouin Prot), – enfin rejoints par Le Superviseur qui certifie – « J’ai vérifié : ils respectent bien les engagements du G20 » (Christian Noyer). Comment le public ne serait-il pas très impressionné de cette remarquable orchestration des règles solennellement rappelées, de l’autorité des uns et de l’obéissance des autres ? À ceci près que le public en question peut difficilement se défaire par ailleurs de cette désagréable impression de dissonance cognitive qui vient de s’entendre dire que les « engagements » sont strictement tenus et de voir néanmoins le milliard d’euros provisionnés pour les traders. Il y a deux issues, et deux seulement, à cette dissonance : soit le milliard a été fabriqué, mais aux dernières nouvelles il semble que non, soit c’est la teneur véritable des « engagements » qui doit être questionnée plus sérieusement. À y regarder de plus près il apparaît bien que cette dernière option doive s’imposer : les engagements sont en toc, les engagements sonnent le creux, et ça n’a pas coûté grand-chose à tous ces comédiens des engagements de s’engager solennellement à des engagements qui n’engagent à rien. [...] « Parce qu’ils le valent bien », répond instantanément le sens commun de la finance, bien aidé par tous les relais médiatiques qui s’offrent, entre deux critiques sans conséquence, à rappeler les lois élémentaires de la morale du mérite – ainsi Le Monde et ses reprises des chroniques Breakingviews, dont une récente demande qu’à propos des bonus la seule question posée soit celle de l’éventuelle spoliation du contribuable : « Le législateur devrait s’en tenir à cette seule question. Car le principe qui sous-tend les bonus – selon lequel la rémunération doit dépendre des résultats – est solide » [6].
« Solide », vraiment ? À des choses déjà dites ailleurs [7], il est possible, pour prolonger la nécessaire entreprise de démolition de l’argument méritologique, d’ajouter ceci. La fortune des traders dépend moins de leur compétence individuelle que du segment de marché où le hasard de leur trajectoire professionnelle les a placés. À la fin des années 1990, un trader sur produits de taux pouvait bien déployer tout son méritoire génie, il était voué à gagner infiniment moins que le dernier des lourdauds du desk actions. Sitôt digéré le krach Internet, c’est sur les produits structurés et les dérivés de crédit qu’il fallait être pour faire de l’argent. La conjoncture du « mérite » est changeante et seul un avenir imprédictible, dans la détermination duquel les individus n’ont aucune part, désignera les futurs méritants – à qui iront les bonus « bien mérités » : matières premières ? marchés émergents ? changes ? actions de nouveau ? Car c’est le lieu occupé l’élément déterminant de la performance, et secondairement le talent des individus."