ça coince...
Le Syndicat de la Magistrature, le 14 avril 2010 :
"Madame la garde des sceaux,
Invitée dimanche 11 avril d’une émission politique, vous vous êtes cru autorisée à tenir un discours où la légèreté du raisonnement le disputait au mépris pour l’administration dont vous avez la charge.
Ainsi, après avoir constaté que le juge d’instruction avait « déjà pratiquement disparu, ce qu’on ne sait pas », puisqu’il ne traite que « 3 % » des affaires, « c’est-à-dire essentiellement les crimes et puis un certain nombre d’affaires sensibles », vous avez développé une théorie assez stupéfiante sur le fonctionnement de la justice.
Un mot sur la méthode. Vous fondez vos conclusions sur une bien singulière expertise : « Moi, quand j’écoute les gens, quand j’écoute mes électeurs, à Saint-Jean-de–Luz par exemple (…) ils me disent… ». La suite de votre raisonnement ne découle que de ce que vous diraient vos administrés – procédé bien commode pour légitimer des idées populistes, mais technique tellement démagogique et éprouvée qu’elle en devient risible.
Et justement, s’agissant du ministère public, ces électeurs providentiels « ne (vous) disent pas, ou rarement, que le gouvernement est intervenu pour que l’affaire n’apparaisse pas ».
En revanche, heureux hasard, ils vous « disent qu’ils se sont trouvés face à un juge qui avait des positions politiques différentes des (leurs), qui avait des positions syndicales, qui a été influencé par les médias, qui a été influencé parce qu’il était au Rotary, ou dans tel groupe, ou parce qu’il était franc-maçon »...
Conclusion, idéale pour votre conception de la justice : « Le parquet indépendant, ça ne changerait rien quant aux soupçons qui pèsent sur les personnes en raison de l’influence qu’elles peuvent avoir sur tel ou tel point ».
Nous passons volontiers, Madame le garde des sceaux, sur les approximations de vos propos quant au nombre et à la nature des affaires confiées aux juges d’instruction. Nous observons cependant qu’ils font opportunément l’impasse sur les raisons politiques qui ont conduit, ces dernières années, à restreindre au maximum la saisine de ces magistrats, afin de faire le lit de votre réforme et d’éviter qu’une instance indépendante ne conduise certaines affaires délicates.
En revanche, nous n’acceptons pas que vous pratiquiez la désinformation, en accusant de manière caricaturale les magistrats d’être responsables de la lenteur des procédures (« …et j’en ai toute une liste, qui datent de quinze ans »). Vous pouvez feindre de l’ignorer mais cette lenteur, parfois réelle, résulte de nombreux facteurs au premier rang desquels la faiblesse du budget que vous obtenez pour votre ministère. Plus graves encore, vos insinuations selon lesquelles les magistrats seraient mus, au moment de juger, par des considérations idéologiques.
Vous vous prétendez guidée par une volonté de réconcilier les Français avec leur justice : on ne saurait pourtant mieux s’y prendre pour ruiner le crédit qui s’attache à celle-ci.
D’un point de vue institutionnel, vos positions sont totalement biaisées : vous choisissez d’évacuer la question fondamentale des garanties statutaires au profit d’un simple et vague rappel déontologique, comme si seule la rigueur personnelle du magistrat, certes indispensable, était de nature à garantir son indépendance et son impartialité. Vous semblez appeler de vos vœux des juges complètement déconnectés des réalités sociales, et peu vous importe si leur statut en fait des relais du pouvoir exécutif. Pensez-vous sérieusement que les citoyens de Saint-Jean-de-Luz et d’ailleurs acceptent une telle justice ?
Au passage, votre discours vous permet, au nom de l’impartialité, de mener une croisade que l’on pensait révolue contre le syndicalisme judiciaire, pourtant reconnu dans ce pays depuis 1972. Ces propos lourds de menaces témoignent d’une perception aussi étriquée que régressive de la fonction judiciaire.
Le justiciable n’a rien à craindre de l’engagement du magistrat dans la vie de la cité, facteur de décisions adaptées et comprises. Il a davantage à redouter, au nom même de l’apparence d’impartialité, du mouvement législatif auquel vous participez qui limite toujours plus la collégialité des décisions et l’existence d’audiences publiques.
Le Syndicat de la magistrature a toujours manifesté son attachement aux questions de déontologie, dont l’impartialité est une composante essentielle. Il y a quelques semaines, nous vous avons d’ailleurs alertée sur un grave dysfonctionnement qui semblait avoir affecté la bonne marche de la justice toulousaine. Nous attendons toujours une réponse ou une réaction de votre part. Mais peut-être certaines impartialités vous tourmentent-elles moins que d’autres ?
Pour conclure, Madame la garde des sceaux, nous savons combien votre position est actuellement inconfortable. Votre réforme de la procédure pénale est dans l’impasse et vous devez garder la face. Cela ne doit pas vous conduire à faire peser, pour les besoins de votre communication, la responsabilité de cet échec annoncé sur les magistrats."
Le Syndicat de la Magistrature, le 14 avril 2010 :
"Madame la garde des sceaux,
Invitée dimanche 11 avril d’une émission politique, vous vous êtes cru autorisée à tenir un discours où la légèreté du raisonnement le disputait au mépris pour l’administration dont vous avez la charge.
Ainsi, après avoir constaté que le juge d’instruction avait « déjà pratiquement disparu, ce qu’on ne sait pas », puisqu’il ne traite que « 3 % » des affaires, « c’est-à-dire essentiellement les crimes et puis un certain nombre d’affaires sensibles », vous avez développé une théorie assez stupéfiante sur le fonctionnement de la justice.
Un mot sur la méthode. Vous fondez vos conclusions sur une bien singulière expertise : « Moi, quand j’écoute les gens, quand j’écoute mes électeurs, à Saint-Jean-de–Luz par exemple (…) ils me disent… ». La suite de votre raisonnement ne découle que de ce que vous diraient vos administrés – procédé bien commode pour légitimer des idées populistes, mais technique tellement démagogique et éprouvée qu’elle en devient risible.
Et justement, s’agissant du ministère public, ces électeurs providentiels « ne (vous) disent pas, ou rarement, que le gouvernement est intervenu pour que l’affaire n’apparaisse pas ».
En revanche, heureux hasard, ils vous « disent qu’ils se sont trouvés face à un juge qui avait des positions politiques différentes des (leurs), qui avait des positions syndicales, qui a été influencé par les médias, qui a été influencé parce qu’il était au Rotary, ou dans tel groupe, ou parce qu’il était franc-maçon »...
Conclusion, idéale pour votre conception de la justice : « Le parquet indépendant, ça ne changerait rien quant aux soupçons qui pèsent sur les personnes en raison de l’influence qu’elles peuvent avoir sur tel ou tel point ».
Nous passons volontiers, Madame le garde des sceaux, sur les approximations de vos propos quant au nombre et à la nature des affaires confiées aux juges d’instruction. Nous observons cependant qu’ils font opportunément l’impasse sur les raisons politiques qui ont conduit, ces dernières années, à restreindre au maximum la saisine de ces magistrats, afin de faire le lit de votre réforme et d’éviter qu’une instance indépendante ne conduise certaines affaires délicates.
En revanche, nous n’acceptons pas que vous pratiquiez la désinformation, en accusant de manière caricaturale les magistrats d’être responsables de la lenteur des procédures (« …et j’en ai toute une liste, qui datent de quinze ans »). Vous pouvez feindre de l’ignorer mais cette lenteur, parfois réelle, résulte de nombreux facteurs au premier rang desquels la faiblesse du budget que vous obtenez pour votre ministère. Plus graves encore, vos insinuations selon lesquelles les magistrats seraient mus, au moment de juger, par des considérations idéologiques.
Vous vous prétendez guidée par une volonté de réconcilier les Français avec leur justice : on ne saurait pourtant mieux s’y prendre pour ruiner le crédit qui s’attache à celle-ci.
D’un point de vue institutionnel, vos positions sont totalement biaisées : vous choisissez d’évacuer la question fondamentale des garanties statutaires au profit d’un simple et vague rappel déontologique, comme si seule la rigueur personnelle du magistrat, certes indispensable, était de nature à garantir son indépendance et son impartialité. Vous semblez appeler de vos vœux des juges complètement déconnectés des réalités sociales, et peu vous importe si leur statut en fait des relais du pouvoir exécutif. Pensez-vous sérieusement que les citoyens de Saint-Jean-de-Luz et d’ailleurs acceptent une telle justice ?
Au passage, votre discours vous permet, au nom de l’impartialité, de mener une croisade que l’on pensait révolue contre le syndicalisme judiciaire, pourtant reconnu dans ce pays depuis 1972. Ces propos lourds de menaces témoignent d’une perception aussi étriquée que régressive de la fonction judiciaire.
Le justiciable n’a rien à craindre de l’engagement du magistrat dans la vie de la cité, facteur de décisions adaptées et comprises. Il a davantage à redouter, au nom même de l’apparence d’impartialité, du mouvement législatif auquel vous participez qui limite toujours plus la collégialité des décisions et l’existence d’audiences publiques.
Le Syndicat de la magistrature a toujours manifesté son attachement aux questions de déontologie, dont l’impartialité est une composante essentielle. Il y a quelques semaines, nous vous avons d’ailleurs alertée sur un grave dysfonctionnement qui semblait avoir affecté la bonne marche de la justice toulousaine. Nous attendons toujours une réponse ou une réaction de votre part. Mais peut-être certaines impartialités vous tourmentent-elles moins que d’autres ?
Pour conclure, Madame la garde des sceaux, nous savons combien votre position est actuellement inconfortable. Votre réforme de la procédure pénale est dans l’impasse et vous devez garder la face. Cela ne doit pas vous conduire à faire peser, pour les besoins de votre communication, la responsabilité de cet échec annoncé sur les magistrats."